mardi 25 novembre 2014

Manchester vue par Engels (1845)

Extrait de Friedrich Engels, La Situation de la classe laborieuse en Angleterre (1845).

Manchester est le type classique de la ville industrielle moderne. En son centre, un quartier commercial assez étendu, composé presque uniquement de comptoirs et d'entrepôts. Cette partie est sillonnée par quelques grandes artères à l'énorme trafic et dont les rez-de-chaussée sont occupés par de luxueux magasins.

A l'exception de ce quartier, toute la ville n'est qu'un district ouvrier, entourant le quartier commercial. Au-delà habitent la haute et moyenne bourgeoisie, sur les hauteurs aérées, dans des habitations splendides et confortables.

Et le plus beau, c'est que ces riches aristocrates peuvent, en traversant tous les quartiers ouvriers par le plus court chemin, se rendre à leurs bureaux d'affaires au centre de la ville sans seulement remarquer qu'ils côtoient la plus sordide misère. En effet, les grandes artères sont flanquées d'une rangée de magasins [qui] suffisent à dissimuler la misère et la saleté, complément de leur richesse et de leur luxe.

Il est impossible d'imaginer l'amoncellement désordonné des maisons, entassées littéralement les unes sur les autres. Les rues sont étroites et tortueuses. Dans une cours, il y a juste à l'entrée des cabinets sans porte et si sales que les habitants ne peuvent entrer ou sortir de la cour qu'en traversant une mare d'urine pestilentielle et d'excréments qui entourent les cabinets.
Dans les maisons, presque jamais de plancher ou de carrelage ; par contre presque toujours des fenêtres et des portes cassées, mal ajustées, et quelle saleté. Devant les portes, partout des décombres, des ordures et des immondices, l'atmosphère est empestée par leurs émanations, assombrie et alourdie par les fumées d'usine.

Que doit-il advenir de ces millions d'êtres ne possédant rien, qui consomment aujourd'hui ce qu'ils ont gagné hier, qui deviennent chaque jour plus conscients de leur sort et exigent chaque jour plus impérieusement leur part des avantages que procurent les institutions sociales ?

La classe industrielle qui s'enrichit directement de la misère des travailleurs ne veut rien savoir de cette misère. Elle ne veut pas avouer que les ouvriers sont misérables parce que c'est elle la classe possédante, qui devrait endosser la responsabilité morale de cette misère Mais c'est aussi ce qui explique la profonde colère de la classe ouvrière, de Glasgow à Londres, contre les riches qui les exploitent systématiquement et les abandonnent ensuite sans pitié à leur sort - colère qui dans bien peu de temps - on peut presque le calculer - éclatera dans une révolution au regard de laquelle la première révolution française et l'année 1794 seront un jeu d'enfant.

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